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24/10/2011

Comment rêvent les morts de Lydia Millet

[Ante-Scriptum : Encore une dizaine de jours pour les inscriptions au swap de l'hiver ! Venez compléter notre impairitude ! Les renseignements ici et les inscriptions ici]

 

 

C'est l'histoire d'une inscription à un partenariat faite en 3sec chez Hérisson : "Ah tiens, il reste des bouquins?" "Ah tiens, le résumé lu en diagonal a l'air sympa". Et puis, hop, quelques jours plus tard, c'était dans ma boîte aux lettres.

Note pour moi-même : renouveler ce genre d'impro de temps en temps, ça a du bon.

 

 

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Comment rêvent les morts de Lydia Millet, Le Cherche-Midi, coll. Lot 49, sept. 2011

 

 

T. est un capitaliste né. Depuis son plus jeune âge, il nourrit une passion pour l'argent ; sa matérialité, son économie et plus tard son abstraction grisante. D'une apparence un peu austère pour ses collègues de fac qui ne jurent que par les fêtes orgiaques, T. calcule tout et construit patiemment son petit empire immobilier qui n'a que faire de la molle bien-pensance. Il est un pur archétype de notre société indivualiste. Self made man, certes. Condescendant et au détriment des autres, et alors?

 

"La stricte discipline de discrétion faisait partie de sa formation. Il était crucial, estimait-il, d'apprendre quels aspects de sa personne afficher à la vue de tous, et quels aspects garder cachés. L'honnêteté était rarement la meilleure stratégie dans les rapports sociaux, et la prôner comme un idéal, pensait-il, ne reflétait qu'un désir infantile de pure simplicité dans le domaine des échanges personnels. Ceux qui clamaient avec véhémence que l'honnêteté était une vertu souveraine avaient en fait simplement peur de tout ce qui est complexe."


En pleine ascension, des éléments commencent pourtant à grignoter l'édifice. La mort d'un coyote en pleine face puis son père qui déserte, laissant sa mère désorientée. Tout cela ébranle T. mais n'entâche pas la poursuite de sa routine pour autant. Mais lorsque Beth, cette femme aimée -et la seule jusqu'ici, meurt brutalement, l'existence de T. sombre dans une complète déréliction, révélant le vide ontologique de cette société du toujours plus.

 

"Des villes se construisaient, s'érigeaient vers le ciel, remparts de confort et utopies de consommation - l'essor de l'empire qu'il avait toujours chéri. Mais sous les fondations la croûte terrestre semblait bouger et s'ameublir, s'écroulant et s'incurvant sous elle-même."


Son quotidien n'est alors plus qu'apparence. Il se questionne sur la place de l'être, revoit ses relations anciennes et en développe de nouvelles - avec Casey par exemple. En secret, il nourrit un grand intérêt pour les espèces animales en voie de disparition qui va peu à peu friser l'obsession. Comme si, après s'être fondu dans les lumières du capitalisme, il cherchait à nouveau à se fondre totalement ; comme s'il cherchait une nouvelle dissolution.

 

"Un empire n'avait d'allure que lorsqu'il était construit sur un fond d'océans et de forêts. C'était une nécessité. Si les océans se mouraient et que les forêts étaient remplacées par des chaussées, même un empire serait dépouillé de son importance. Seul, pensa-t-il - c'est un mot qui lui venait de plus en plus souvent à l'esprit, dans un rythme monotone, comme moqueur. Dans le zoo, les animaux rares auraient pu être orphelins, capturés ou même nés en captivité. Il ne savait absolument pas d'où ils venaient, ne pouvait pas être au courant de leurs histoires individuelles. Mais il connaissait leur position, tout comme il connaissait la sienne : tels des pionnies, ils étaient aux avant-postes de la solitude. Ils étaient les messagers envoyés en éclaireurs voir à quoi ressemblait le nouveau monde."

 

Ce livre là, au fond, n'est pas tant le plaidoyer d'une certaine écologie moralisatrice que l'exposé de l'absurdité de notre époque : à avoir travaillé durant des siècles à se couper de nos racines matérielles, sociales et spirituelles dans l'espoir orgueilleux de devenir des êtres libres - oubliant alors que sans balises, point de liberté -, les hommes ne sont parvenus qu'à créer un chaos existentiel dépouillé de toute profondeur. L'homme ne sait plus vivre que selon le modèle qui lui est présenté, il est un perpétuel enfant. Et même lorsqu'il cherche à s'en détacher, à l'image de T., il ne fait que plonger dans un autre modèle, tout aussi extrême.


La réponse n'est pas dans la recherche de nouveaux modèles. C'est seule la profondeur des racines - c'est s'en rappeler - qui garantit une certaine mesure et du sens au quotidien.
C'est là, me semble-t-il, l'enjeu majeur de cet excellent roman que je vous conseille chaleureusement!

 

Un grand merci à Hérisson et à Solène P. des éditions du Cherche Midi pour l'opportunité de ce partenariat.

 

 

 

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8/7

 

 

 

 

 

 

*

 

21/10/2011

Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan

[Ante-Scriptum : Encore 2 semaines pour les inscriptions au swap de l'hiver si le coeur vous en dit! En plus, on est en nombre impair pour l'instant alors n'hésitez pas! Tous les renseignements ici et les inscriptions ici.]

 

 

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Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan, JC Lattès, 2011, 437p.

 

 

 

La mère de l'auteur s'est suicidée le 25 janvier 2008. Elle lance alors son fol amour à la création du plus beau des tombeaux : celui de papier. Quelle femme était sa mère et quelle était cette souffrance?

 

Delphine de Vigan brosse avec une belle émotion dénuée de pathos le portrait de cette mère qu'elle met à distance avec un pseudonyme ("Quelques années plus tard, lorsque Lucile a écrit un texte sur Nébo, elle me l'a soumis pour relecture avant de l'envoyer, sous le pseudonyme de Lucile Poirier (Lucile, en quelque sorte, a donc choisi elle-même son nom de personnage"). Elle ne cherche pas à l'embellir mais à la montrer telle qu'en elle-même, estimant à juste titre que la franchise est le plus bel hommage à lui faire - Aussi, rien ne nous est épargné, bien qu'écrit avec pudeur, de son histoire et des affres de sa bipolarité.
Ponctué de réflexions de l'auteur sur sa démarche d'écriture et ses doutes, l'ouvrage offre en outre un regard permanent de ses coulisses et nous laisse à voir le livre en train de s'écrire.

 

J'avoue néanmoins avoir fini par m'essoufler au court de ma lecture. Bien que terriblement poignant et bien écrit, ce roman ne m'a pas transcendée littérairement parlant. Peut-être est-ce du au passage instinctif à la première personne dès lors que l'auteur nait dans la narration - cette composition entre biographie et autofiction m'a peu emballée par son manque d'originalité. De manière générale, c'est sans doute le classicisme de la forme et de l'entreprise sans renouvellement particulier - l'auteur, d'ailleurs, fait montre de lucidité sur ce point en début d'ouvrage - qui ne m'a pas totalement conquise au point de trouver l'ouvrage génial. C'est un bel hommage, écrit avec pudeur et amour et on en ressort, sans nul doute, profondément ému - et c'est déjà pas mal.

 

 

*

 

Extraits :

 

 

"A Pierremont, les voix finissaient toujours par monter dans les aigus, les portes claquaient, et au moment où l'on en venait presque aux mains, le minuteur en forme de pomme sonnait pour nous rappeler qu'il était grand temps de sortir le gratin du four.

A côté de nous, posée sur un tabouret, Lucile revendiquait son exception mutique et culinaire, n'avait d'avis sur rien, consentait parfois à éplucher quelques pommes de terre."

 

"Lorsqe j'ai su que Jours sans faim allait paraître, je lui ai donné à lire le manuscrit. Un samedi soir où elle devait venir chez nous pour garder nos enfants, Lucile est arrivée ivre, le regard dilué. Elle avait passé l'après-midi à lire le roman. Elle l'avait trouvé beau mais injuste. Elle a répété : c'est injuste. Je me suis isolée avec elle, j'ai tenté de lui dire que je comprenais que cela puisse être douloureux, que j'en étais désolée, mais il me semblait que le livre révélait aussi, si besoin en était, l'amour que j'éprouvais pour elle. Dans un sanglot, Lucile a protesté : ce n'était pas vrai, même au pire de la torpeur, elle n'était pas comme ça. Je l'ai regardé, j'ai dit : si.

Je ne lui ai pas dit qu'elle avait été pire, pire que ça."

 

 

Challence rentrée littéraire 2011.jpgChallenge 1% de la rentrée littéraire

7/7

15/10/2011

Le palais de mémoire d'Elise Fontenaille

 [Ante-Scriptum : Les inscriptions pour le swap de l'hiver sont toujours d'actualité, elles se font ici et sr swap.de.lhiver@gmail.com]

 

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Le palais de mémoire d'Elise Fontenaille, Calmann-Levy, 2011, 154p.

 

 

Dans la Mandchourie du XVIIIe, le jésuite Artus de Leys déambule dans son palais de mémoire -aidé de quelques fumées d'opium-  et égrène les instants de sa relation perdue avec le prince Jade.
Le récit se tisse de fragments amoureux et poétiques où pointe en filigrane l'histoire des campagne de christianisation de l'Orient et du martyr des jeunes convertis.

 

La faute à mes récentes lectures denses et fouillées sans doute, mais je ne me suis pas sentie investie par cette lecture. Le propos de base pourtant me passionnait mais son traitement me laisse un arrière-goût de superficiel. Je n'ai pas senti la richesse foisonnante de la Chine d'alors, ni le contexte spirituel dans lequel s'inscrit le récit. L'histoire d'amour m'a semblé assez simpliste, la manière de s'exprimer du personnage et l'utilisation de l'opium comme vecteur du rêve/souvenir assez artificiels (parce que mine de rien, les souvenirs du jésuite sont sacrément ordonnés et cohérents pour un gars sensé être défoncé jusqu'au trognon et sa manière de parler sacrément anachronique - en fait, il a pas du tout l'air d'être ce qu'il est si ce n'est un personnage construit de toutes pièces). Le style de l'auteur est pourtant plaisant, poétique, doux ; certains morceaux vraiment très agréables à lire. Mais, je suis restée là, sur ma faim, avalant les pages en 2h comme s'il ne s'était pas passé grand chose. Dommage!

 

*

 

Extrait :

 

"A peine descendu des collines, le Fils du Ciel s'étiola, s'alita et fit un rêve dont il ne se remis pas ; la musique et la gaieté de cette journée de printemps avaient consumé ses dernières forces. Son songe le ramena des années en arrière...

Vêtu de soie blanche, en deuil de son maître et ami, le jésuite Verbiest, celui qui lui avait enseigné l'ars memoriae dans son enfance à la demande de sa grand-mère tant aimée, Kangxi pénètre dans son palais de mémoire.

En Chine, le deuil se dit l'absence de couleur, et c'est beauté ; comme nos habits de ténèbres semblent triviaux, à côté. Car la mort, bien sûr, c'est cela : toute coleur nous est ôtée. Le noir est une orgie de couleurs, jusqu'à l'anéantissement ; la blancheur seule sait dire ce qui nous manque. Sur la poitrine du Fils du Ciel, neuf dragons perle chevauchent un nuage de neige ; un ruban de vison souligne l'immaculé de la robe, la rendant plus livide encore.

Et c'est splendeur, puissance, sérénité."

 

 

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6/7